Pour ce premier « Raconte-moi » (notre nouvelle série d’articles axée sur des problématiques métier), la pétillante consultante Sandrine Dupont nous explique pourquoi les chargés de vente préfèrent faire l’impasse sur les outils de CRM. Parallèlement, Sandrine partage avec nous les méthodes de consulting les plus efficaces pour les faire changer d’avis sur ces solutions aujourd’hui incontournables.
« Customer Relationship Management » ou Gestion de la Relation-Client, c’est ce que signifie l’acronyme CRM. Il prête aussi son nom aux outils d’analytique et de reporting permettant en théorie de centraliser l’intégralité des informations relatives aux clients d’une entreprise. Plus précisément, les « CRM » sont des outils de gestion de la relation-client possédant une brique dédiée à la gestion de l’activité commerciale, ou SFA (Sales Force Automation).
Ces solutions sont apparues dans les années 80 avec le développement de l’informatique puis a trouvé davantage d’importance avec l’avènement des nouvelles technologies. C’est notamment l’apparition de la bulle Internet qui a popularisé les outils de CRM. À l’époque, on en faisait un peu des usines à gaz, on y collait pleins de modules pas tous nécessaires un peu partout. Aujourd’hui, on est plus éduqués sur la question et on possède bien plus de moyens pour concevoir des solutions efficaces et réalistes. Les outils de CRM se font désormais sur-mesure et permettent aux commerciaux de connaître et gérer au mieux l’évolution de leurs clients en stockant les infos pertinentes à leur propos. Ils permettentainsi d’automatiser la gestion de la relation-client et de planifier des rappels sur des cycles prédéfinis de manière à pouvoir se concentrer sur d’autres tâches.
Malgré le potentiel de ces outils, pourquoi les commerciaux y reste-t-ils réticents ?
Premièrement, ils n’aiment tout simplement pas avoir à ressaisir toutes leurs informations. Leur première impression de l’outil, c’est qu’il leur fera perdre du temps. C’est une vision qui reste tout de même plutôt générationnelle, les vieux de la vieille sont dans la vente depuis 20 ou 30 ans, ils ont déjà leur capital clients, leurs connaissances métier, leurs propres outils, leurs habitudes… Pour eux, la collection d’informations va du carnet de notes au cellulaire, en passant par Excel. Quel intérêt pourraient-ils donc avoir à recopier l’intégralité de leurs infos dans un nouvel outil ? D’autant plus que les commerciaux n’aiment pas vraiment partager leurs données avec qui ou quoi que ce soit. Transférer ses informations dans un nouvel outil « technologique » qui plus est, peut signifier qu’on risque de se faire voler un client ou de se faire retirer une affaire… Les commerciaux savent que « l’information c’est le pouvoir » et en sont donc très protecteurs. Aucun d’entre eux ne risquerait de faire fuiter quelques précieux éléments chez la concurrence ou même chez leur propre management, qui augmenterait probablement leurs objectifs à la vue de cette pléthore de données discrètement collectées. Par définition, le poste de commercial est plutôt un boulot de solitaire. Il est ainsi hors de question pour lui de tout saisir dans un outil de « flicage » mis en place par le patron ou dans une solution plus « piratable » qu’un carnet.
Est-il même possible de les faire changer d’avis ?
Pour les commerciaux, le temps c’est de l’argent. Quand nous, consultants, mettons un outil de CRM en place dans une entreprise, il nous faut travailler et réfléchir directement aux côtés des commerciaux. Il faut les impliquer au moment de la conception de la solution, leur permettre de comprendre les enjeux de la gestion de la relation-client mais aussi nous permettre de saisir leurs attentes, comment ils travaillent, quels sont leurs impératifs, etc. L’idée est de les accompagner à travailler différemment, changer leur processus et leur réflexion, il faut donc également leur montrer dès le début ce qu’ils vont gagner à l’avoir, mettre en avant les bénéfices comme la rentabilité, le fait de gagner un portefeuille d’opportunités ou simplement « le » bénéfice qui va les convaincre d’utiliser des solutions de CRM, mais il y a autant de bénéfices que de commerciaux…
Quelles méthodes appliquer pour les impliquer dans le projet ?
Il faut tout d’abord impliquer le management, que ce soit sur un projet d’outil de CRM existant ou nouveau. Les dirigeant d’entreprises doivent être capables d’expliquer en quoi les solutions de CRM ont du sens dans leur entreprise et doivent savoir réévaluer leurs attentes concernant les objectifs de leurs commerciaux. Cela passe notamment par la mise en place d’ateliers de conception auxquels les chargés de vente sont conviés pour s’imprégner de quelques rappels sur l’importance de la relation client, être formés à l’utilisation d’un outil de CRM et bien-sûr donner leur avis. Par contre, ces ateliers représentent du temps à dégager et à dédier à ce projet. Du temps passé sur un atelier est du temps passé à ne pas faire de vente pour un commercial, il faut donc encourager le management à aménager des créneaux spécifiques et notamment, envisager de réaménager les objectifs de leurs commerciaux en fonction des étapes du projet CRM, si l’implication souhaitée est importante. Il est également bon d’aider les dirigeants à établir des échelons pour alléger la cadence du projet et les accompagner sur la création d’un guide pratique auquel peuvent se référer à tout moment les commerciaux. Les consultants doivent aussi faire partie de ce support : sans cela, on risque de perdre les commerciaux, chaque obstacle est une opportunité pour eux de tout arrêter. Il faut être présent pour répondre à leurs questions et les aiguiller en cas de pépin. Il ne faut, par ailleurs, jamais oublier les nouveaux arrivants et ainsi prévoir des référents qui pourront les accompagner sur l’outil. En clair, former, accompagner et donner un temps d’adaptation aux utilisateurs sont des dispositions cruciales dans la conception d’un projet CRM.
Autres mots d’ordre : Ecoute, analyse, compréhension. Dans l’optique de mettre en place un outil de CRM pour une entreprise, il faut cerner ce que veulent ses commerciaux. Cela veut dire qu’il faut les rencontrer, passer une journée avec eux sur le terrain, voir comment ils travaillent. Il faut être leur ombre, vivre leur vie de commercial. Suivre un chargé de vente sur sa tournée, par exemple, est un très bon exercice. Sur les 400km parcourus aux côtés de ce commercial, on se rend compte de choses qu’il ou elle fait mais que lui ou elle ne voit pas et qui peuvent pourtant être cruciales dans la conception aussi réaliste que possible d’un outil de gestion de la relation-client. C’est en observant ses habitudes que l’on sait s’il faut développer une appli de CRM sur son mobile, s’il est nécessaire de rendre cette appli utilisable sans réseau ou encore quels modules intégrer à l’outil.
L’amélioration en continu, brique après brique, est la meilleure manière de procéder sur un tel chantier. On ne peut pas tout révolutionner d’un coup, donc il faut prioriser, commencer par résoudre les problèmes majeurs pour eux afin leur prouver l’intérêt d’utiliser un outil de CRM. Après chaque implémentation, le consultant doit recueillir les ressentis personnels de ses clients pour pouvoir reparamétrer la solution en fonction. Or si l’on veut commencer par résoudre la problématique de l’entreprise avant les problèmes plus personnels des commerciaux, on risque de faire face à une levée de boucliers. « Où est l’intérêt pour moi de recopier toutes mes données de mon fichier Excel à ce nouvel outil ?! C’est une perte de temps ! » Il est impossible de mettre tout un outil en place du premier coup sans avoir affaire à un client mécontent au bout de quelques utilisations ! Il ne faut pas oublier que les commerciaux n’ont pas forcément l’habitude d’utiliser des logiciels aussi encadrés. Ils n’ont pas les mêmes prérequis que les métiers de SAV ou de hotlines et peuvent donc vite se sentir à l’étroit, d’où l’intérêt de se mettre dans leurs baskets avant de leur présenter un produit fini.
Enfin, il faut évidemment leur garantir la fiabilité du produit. Dès qu’ils se connectent, il faut que ça marche directement. Il est aussi important de s’assurer de la fiabilité des données. Il faut que les informations saisies ou récupérées soient justes et que chacune d’entre elle soient attribuée aux bons comptes pour que l’utilisateur puisse s’y retrouver, notamment en situation de mobilité.
« Incentiver » les commerciaux est-il une bonne idée ?
Promettre de primes pour inciter les commerciaux à utiliser un outil de CRM n’est pas une bonne idée. Ils feront en sorte d’atteindre l’incentive mais ne feront pas plus. Ou alors il faudrait leur tendre une très grosse carotte…
Le commercial de demain change, on passe du vendeur au consultant. Aujourd’hui, autant dans le B2B que le B2C, les gens ont les ressources nécessaires pour se renseigner sur leurs potentielles acquisitions. Ils ont tellement d’infos à leur portée que le commercial rencontre un client déjà éduqué sur les solutions ou produits qui l’intéressent, il n’a plus à passer par toute cette phase de présentation. Certaines études prédisent donc que le commercial de demain sera un « super consultant » négociateur, un peu comme les VRP multi-marques d’avant, qui ne sont pas exactement employés de la boîte dont ils vendent le produit. Il ne pourra pas se passer des nouvelles technologies, d’autant plus que les notions d’e-commerce passent déjà par le Digital et la gestion de la relation-client prend de plus en plus d’importance avec les outils de CRM… Dans les TPE et PME l’adhésion à ces solutions va donc se faire petit à petit mais, bien-sûr, les entreprises ont le choix de ne pas s’en équiper. Dans les startups par exemple, on ne se pose même pas la question, les CRM sont automatiquement de mise, d’où l’importance de soulever que cette problématique est générationnelle. Mais chaque solution de gestion de la relation-client dépend aussi de la taille de la société, de ses objectifs, de ses besoins.
Photo d’illustration : © Steve Johnson
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