Avant l’IA, y a quoi ?

Bien qu’elle soit vieille de près de 70 ans, l’Intelligence Artificielle a trouvé son essor au cours des dernières années avec l’évolution des machines et ordinateurs, l’amélioration des puissances de calculs et l’explosion des données en masse, ou ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom de Big Data. L’IA est donc un sujet chaud dans le domaine de la Tech mais occupe également beaucoup de place dans l’imaginaire public, grâce aux fictions notamment. L’un dans l’autre, cette technologie est à la fois pleine d’opportunités et source d’incompréhension, voire de peur et les entreprises traditionnelles telles les PME par exemple, en sont particulièrement en proie. Pourtant, ce n’est pas parce que l’IA est en tête des tendances digitales qu’elle fait sens pour toutes les entreprises…

L’impact de la Technologie sur les organisations est un sujet qui m’intéresse particulièrement, sûrement parce qu’il est aussi au cœur de mon métier de consultant. Alors que les grandes avancées digitales comme l’Internet des objets, le Deep Learning ou encore la Blockchain prennent de plus en plus de place au sein de la conception d’outils toujours plus performants, il est facile pour les entreprises de penser devoir absolument s’emparer de ces technos complexes. 

Le contrepoint que j’aimerais offrir, c’est que la Tech est hexogène, étrangère à la plupart des organisations – à l’exception évidemment des sociétés hyper technologiques ou « Digital Natives ». Dans le cadre d’une organisation classique, la Technologie vient essentiellement perturber le fonctionnement de la structure. Elle peut perturber le rythme de l’organisation (en allant trop vite par rapport aux ressources humaines, par exemple), perturber les méthodes déjà établies (en apportant de nouveaux moyens d’exécution), perturber la culture de l’entreprise (en automatisant certaines tâches) … Tel un corps étranger au sens scientifique du terme, la Technologie peut être absorbée pour entrer en symbiose avec sa structure d’accueil, ou bien elle est rejetée. Pour une organisation comme pour tout organisme donc, l’absorption d’un corps étranger pose toujours quelques challenges. Le meilleur exemple que je peux d’ailleurs donner est celui de l’Intelligence Artificielle : une Technologie complexe et pleine d’opportunités, mais souvent survendue et incomprise par beaucoup.  

C’est pas sorcier 

Je me suis toujours interrogé sur l’association des mots « intelligence » et « artificielle » et en particulier sur le sens même de cette association. Selon le dictionnaire Le Robert, ce qui est artificiel est « le produit de l’activité, de l’habileté humaine », et est opposé au mot « naturel ». L’intelligence, elle, est « la faculté de connaître et de comprendre, une qualité de l’esprit qui comprend et s’adapte facilement. » La définition étymologique de l’IA, si l’on se fie au Robert, est donc celle-ci : une construction humaine servant à fabriquer un mécanisme permettant de connaître et de comprendre. C’est comme si l’on souhaitait, avec l’IA, artificialiser ce qui fait qu’on est humain, telle la raison par exemple, qui est listé comme synonyme d’intelligence dans le dictionnaire.  

Etymologiquement, c’est ainsi un sujet qui paraît à la fois fascinant, dangereux et extrêmement complexe. Mais si l’on descend d’un niveau, prenant une réflexion un peu moins philosophique, la définition marketée de l’IA nous donne ceci : ensemble des procédés pouvant permettre à une machine de reproduire la capacité humaine à apprendre et à s’adapter à un contexte. En d’autres termes, par de l’algorithmie complexe, on tente de reproduire la capacité humaine à apprendre, comprendre, décider et prédire. Cela fait déjà un peu moins peur et a déjà un peu plus de sens. Pour cause, les domaines d’application de l’IA sont aujourd’hui multiples ! On retrouve ce concept dans la Médecine, la Justice, la Surveillance, l’Industrie et bien d’autres terrains encore. Les procédés sur lesquels reposent l’IA existent et ce depuis les années 50 déjà.  

Les concepts technologiques tels que le Machine Learning, (principe même de l’Intelligence Artificielle) ou le Deep Learning (DL) se cachant derrière le fonctionnement de l’IA se basent eux-mêmes plus ou moins simplement sur des procédés mathématiques et statistiques. Et bien que le Machine Learning (ML) soit vieux de près de 70 ans, il trouve son essor aujourd’hui parce que les bases de données ne cessent de gonfler et les ordinateurs et puissances de calculs sont devenus plus importants et rapides. Les data et technologies actuelles permettent de modéliser davantage de calculs et permettent aux machines de comprendre plus vite.  

Le Machine Learning fonctionne en deux phases. En premier lieu, on donne à la machine assez de données pour qu’elle puisse modéliser l’équation mathématique la plus appropriée pour effectuer la mission demandée. En deuxième phase, après plusieurs essais, erreurs et succès, la machine développe un pattern, un ensemble de règles de plus en plus précises lui permettant ensuite de faire des prédictions. Le produit de l’IA est donc, en simples termes, l’application des résultats d’une équation mathématique.  

Ne pas sauter à pieds joints, même dans la logique  

Les avancées réalisées dans le domaine de l’Intelligence Artificielle sont en fait une évolution logique de la Technologie. Des questions éthiques et philosophiques se posent évidemment, mais le concept même de l’IA est relativement simple (bien qu’elle puisse devenir mathématiquement très complexe) et je doute que nos robots prennent un jour le contrôle de la conscience humaine et du monde… 

Concrètement, l’IA est aujourd’hui utilisée dans les concepts de voitures autonomes, de reconnaissance faciale ou même simplement de robotisation industrielle par exemple. Mais au-delà de la robotisation industrielle et autre procédés automatisés, quel est la preuve concrète d’un apport technologique complexe tel que l’IA au sein d’organisations traditionnelles ? 

Dans une PME, que peut-on bien faire d’une techno comme l’IA ? 

Travailleuse efficace et vraisemblablement idéale, l’IA permet donc de prendre des décisions qui étaient jusqu’à présent exclues des propriétés essentielles des machines et étaient prises par des humains. Le monde est désormais prêt à sous-traiter une machine qui est essentiellement étrangère au fonctionnement fondamental de la plupart des organisations. La plupart des entreprises ont déjà cette démarche de sous-traitance et n’hésitent pas à déléguer certaines tâches ou missions à des entités extérieures tels des cabinets de conseils ou développeurs spécialisés, par exemple.  

Quand une entreprise sous-traite, c’est en général parce qu’elle en a besoin dans a chaîne de valeur mais n’a pas le savoir-faire nécessaire, parce que ce n’est pas son cœur de métier, ou parce que la mission est limitée dans le temps. Sans se positionner dans un angle éthique, faire appel à l’IA relève de la même démarche qui pousserait une entreprise à faire appel à un consultant ou à un programmeur. Ainsi, comme pour tout projet nécessitant l’aide d’une entité extérieure, il faut se poser les bonnes questions. Dans le cadre de l’IA en particulier : quelle est la valeur réelle de ce que cette technologie complexe, éthiquement et philosophiquement questionnable, peut apporter à mon entreprise ? 

L’IA est indubitablement l’un des secteurs les plus actifs dans la Technologie aujourd’hui, mais je ne crois pas que la majorité des organisations soit encore capables d’absorber ce corps étranger. 

Avant l’IA… il y a déjà tout à faire

Avant de s’attaquer aux technologies de pointe comme l’IA, il faut d’abord acquérir la maturité technologique nécessaire pour comprendre leur fonctionnement, leur utilité, leurs potentiels revers et enfin, se les approprier. Une maturité technologique idéale pour s’attaquer aux technologies complexes, c’est justement quand on ne parle plus de frontière entre ce que l’entreprise est et ce qu’elle fait de la Technologie. C’est lorsque le Digital fait intrinsèquement partie des moyens employés par une entreprise ou de ce qu’une entreprise propose.  

Avant l’Intelligence Artificielle donc, il faut faire preuve d’Intelligence Organisationnelle : comment mon organisation conçoit, perçoit et utilise la Technologie ?  

Et avant même l’Intelligence Organisationnelle, il faut savoir cultiver une Intelligence Emotionnelle propre à la culture de l’entreprise : le savoir-être, l’empathie, la vulnérabilité, la confiance au sein des équipes.  C’est seulement après avoir travaillé sur ces deux points fondamentaux qu’une entreprise peut réalistiquement se poser toutes les questions liées aux outils technologiques les plus pertinents pour son activité et se demander qui (ou quoi) sous-traiter pour atteindre ses objectifs.  

Les articles, livres blancs et autres documents en faveur de l’utilisation de l’IA sont nombreux, très informatifs mais sont aussi sources de discours très enjoliveurs. Il s’en dégage ainsi l’impression que si une organisation, de quelle taille ou métier qu’elle soit, n’intègre pas le Machine Learning dans ses procédés, alors elle est à risque de ne pas survivre face à la concurrence et aux clients toujours plus connectés.  L’IA est un sujet vraisemblablement intéressant, c’est vrai. Cependant, je pense qu’il est trop complexe et trop tôt pour qu’il soit globalisé autant que la tendance le voudrait. Même sans l’IA, la technologie pose déjà beaucoup de questions et challenges aux entreprises. D’ailleurs, près de 95% des organisations ne sont pas Digital Natives ! L’IA n’a donc pas forcément de sens aujourd’hui pour la plupart des structures.  

Comme pour toute évolution digitale, il faut bien-sûr s’y intéresser et essayer de la comprendre. Une technologie comme l’Intelligence Artificielle continuera naturellement d’évoluer avec l’accroissement de la puissance des ordinateurs ainsi qu’avec le décuplement des données.  Mais avant de s’attarder sur les derniers outils technos, il est important de travailler sur la solidification des fonctionnements fondamentaux d’une entreprise, c’est-à-dire se recentrer sur ses objectifs vitaux et principaux, apprendre à développer son activité dans le contexte inhérent (culturel, financier, lié au marché) de l’organisation, réintroduire des valeurs humaines essentielles (confiance, vulnérabilité, droit à l’erreur) au sein des équipes pour encourager l’innovation, connaître le rythme propre de l’entreprise…  

Au-delà de la maturité technologique, il est ainsi primordial pour les entreprises d’acquérir la maturité organisationnelle nécessaire pour enfin pouvoir apprivoiser ce corps étranger que représente le Digital. Au final, avant l’Intelligence Artificielle, ne serait-il pas judicieux de développer l’Intelligence Collective ? 

Yanniss Leloir

Photo d’illustration: © Possessed Photography


Cette image reprénsente un singe pensif et est le symbole de notre série d'articles "La série du vieux singe''

La série du Vieux Singe est une collection d’articles et de podcasts produite par Yanniss Leloir, expert en pilotage des systèmes d’information et transformation des organisations depuis plus de 20 ans et Président de You Don’t Need Us – le cabinet de conseil pour les PME.

Développée en collaboration avec Yaël Fiedel (journaliste et rédactrice de contenu), la série du Vieux Singe fait appel à d’autres chevronnés du Digital et dirigeants de petites entreprises pour rafraîchir le Consulting collectivement à coups de vulnérabilité, d’innovation et d’opinions parfois bien tranchées. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.