[Rapport Gruny : Chapitre II] Renforcer la formation au numérique et amener le Digital vers les PME

Depuis l’éclosion du Digital et son profond impact sur l’entrepreneuriat, les PME françaises accusent d’une faible maturité numérique notable par rapport aux grandes sociétés et aux startups du pays. Mounir Mahjoubi (alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances et du ministre de l’Action et des Comptes publics, chargé du numérique) a saisi l’urgence de la situation au début de l’année en inaugurant France Num, une initiative d’aide au développement des TPE-PME prometteuse, mais aux résultats décevants… Heureusement, le mois de juillet est arrivé avec un peu de renfort (et de réconfort) : la sénatrice Pascale Gruny (LR) a fait paraître un rapport d’information sur l’accompagnement de la transition numérique des PME, préconisant quelques solutions pouvant remédier au retard et à « l’illectronisme » qu’elles subissent. 

Ce rapport, Yanniss (président et fondateur de You Don’t Need Us) en a lu l’intégralité afin de comprendre comment la France compte faciliter la transformation digitale des TPE-PME et notamment leur accès au conseil. Aujourd’hui, il en balaye et décortique les quatre chapitres, rien que pour vous. Tous les héros ne portent pas de cape…

CHAPITRE II : De nombreuses PME ont du mal à s’engager dans la transformation numérique

Ce second chapitre cible le cœur même de nos réflexions et de notre activité, qui est d’aider les PME à trouver le Conseil qui leur convient pour profiter des impacts de la révolution numérique. Avant d’aborder toute une série de chiffres significatifs sur les difficultés des PME françaises face au Digital, Pascale Gruny rappelle le classement défavorable du pays suivant l’indice DESI (indice relatif à l’économie et à la société numériques). Cet indicateur mesure cinq critères en tout :

  • La Connectivité : répartition du haut débit fixe et du haut débit mobile, vitesse du haut débit, prix et accessibilité
  • Le Capital humain : utilisation d’Internet, compétences numériques élémentaires et avancées des citoyens
  • Utilisation des services internet : utilisation par les citoyens des services de contenu, de communication et de transactions en ligne
  • Intégration de la technologie numérique : passage des entreprises au numérique et commerce en ligne
  • Services publics numériques (administration en ligne)

Actuellement au 15ème rang du classement, l’Hexagone n’est pas encore prêt de remonter l’échelle. En effet, la France a même perdu une place depuis 2016. On retient tout de même que sur les cinq critères de l’indice DESI, la France a quelques points d’avance concernant le Capital humain et les compétences numériques des citoyens. Les formations scientifiques et d’ingénieurs du pays sont très bonnes et l’on compte ainsi beaucoup d’experts du numérique. Pour autant, la démocratisation de ces compétences, soit leur utilisation, est beaucoup moins remarquable : le pays se trouve à la 9ème place. Parallèlement, la Connectivité française est plutôt moyenne et le pays montre encore quelques faiblesses en termes d’Utilisation des services internet par les citoyens, administrations et entreprises. La France se situe même au 16ème rang mondial en termes de numérisation des processus dans les entreprises.

Il est par ailleurs intéressant de noter que la France, bien que portant la casquette de 6ème puissance mondiale, se trouve probablement encore plus bas dans le classement DESI si on ramène l’indice à l’échelle du globe. Il suffirait d’y ajouter certains pays d’Asie ainsi que les Etats-Unis pour la faire dégringoler davantage…

Une énigme typiquement française

Un point de croissance chaque année, c’est ce que coûte le retard Digital dont accuse la France. La part de son PIB dû au Numérique est de 5,5%, soit une fois et demi inférieur aux pays les plus avancés : 10,1 % en Corée du Sud, 10 % au Royaume-Uni, 9,2 % en Chine ou 8 % aux États-Unis… Et les statistiques démontrant les lacunes de l’Hexagone ne s’arrêtent pas là. Par exemple, seuls 2,7% à 3,7% des emplois du pays sont liés au Digital.

Dans un sous-chapitre intitulé « Au-delà de la Start-up nation, des petites et moyennes entreprises à la peine », la sénatrice dénonce le gap séparant les startups aux technologies de pointe et les TPE/PME aux modèles traditionnels, bien plus à la traîne sur les sujets digitaux. Les startups bénéficient d’ailleurs d’une maturité numérique plus proche de celle des Grands groupes que des PME. En cause, les dirigeants de petites et moyennes entreprises en France disent « subir » la révolution numérique. Elle leur est extérieure, invisible et incomprise, révèle une enquête de Bpifrance, bouclée en septembre 2017. Également à cette époque, 45% des dirigeants de TPE/PME n’avaient pas de vision de transformation numérique de leur entreprise et 73% d’entre eux se déclaraient très peu avancés sur ces sujets.

Ce que l’on constate aussi, c’est que plus la dimension de l’entreprise est réduite, moins elle est disposée à adopter des solutions digitales tels qu’un outil de vente en ligne, par exemple. Et si l’on zoom sur les domaines du Numérique les plus mystérieux pour les PME, on se rend compte que leurs lacunes sont plus marquées en matière d’expérience client et de dématérialisation des processus. Selon moi, ce bilan est lié au manque de compréhension et la présentation de ce qu’est le Numérique par les décideurs français. Plutôt généralistes, ces décideurs montrent des compétences digitales encore faibles. Une conséquence qui trouve ses racines dans la relation incertaines qu’entretenaient auparavant les dirigeants avec l’Informatique. En France, les dirigeants ont toujours eu du mal à saisir les enjeux ses enjeux. La technologie a même longtemps été considérée comme un moyen et non comme un outil pouvant apporter une réelle valeur aux entreprises. Je l’ai d’ailleurs vécu personnellement dans plusieurs entreprises, en tant que DSI. L’un de mes patrons, lorsqu’il fallait prendre une décision importante, avait un avis sur tous les domaines de l’entreprise sauf sur ce qui concernait le Numérique. Puisqu’il ne cherchait pas vraiment à comprendre et expédiait chaque décision axée informatique, il prenait donc de mauvaises décisions…

Je dirais que cette mentalité est malheureusement typiquement française. Dans les pays anglosaxons par exemple, l’expertise technique est valorisée, un bon développeur est mieux payé qu’un chef de projet. Ici, c’est l’inverse : quand les informaticiens passent au rôle de chef de projet, ils ne mettent plus les mains dans le cambouis mais sont tout de même mieux payés… Pourtant, dans le climat digital actuel, il faut être capable de réaliser des tâches liées au Numérique, il faut les comprendre. Les startups, elles, sont souvent associées à des profils très techniques et c’est pour cela qu’elles ont autant d’avance sur les PME.

Un patronat trop frileux

Difficultés culturelles à part, le rapport enchaîne ensuite sur une analyse de la présence en ligne des TPE/PME, menée par l’Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC) en 2018. Sur les 3249 entreprises sondées, seules 11% ont décrété utiliser quotidiennement des outils digitaux…

Pourquoi donc une si faible présence en ligne des petites et moyennes entreprises ? Cette indigence serait entre autres liée à des investissements financiers et humains modestes, une faible compréhension du retour sur investissement engendré par le Numérique, pas assez de temps consacré à la production de contenus à valeur ajoutée (articles, vidéos, témoignages clients…), une prise en compte des avis et notes en ligne négligée et des difficultés à se positionner sur les moteurs de recherches. Frileux et peu éduqués sur les questions technologiques, les dirigeants français pensent encore être dispensés, « protégés » de la révolution digitale. Ils imaginent par exemple être abrités par la relation de proximité, ou sentiment de lien indéfectible entre leur entreprise et leurs clients. Le rapport caractérise pourtant ce sentiment comme une chimère, car tel que peuvent en témoigner les libraires ou les loueurs de DVD à qui leurs clients demandaient des conseils de lecture ou de films, cette proximité n’a pas empêché l’essor de plateformes comme Amazon ou Netflix.

Les PME ne sont pas non plus automatiquement protégées par les protections réglementaires tel que le pensent encore beaucoup de dirigeants. La réglementation de certains secteurs d’activités ne permet pas de conserver ses clients puisque ceux-ci choisiront toujours le service le plus disponible et facilement accessible, peu importe les réglementations mises en place pour les entreprises. Exemple frappant : la loi « anti Amazon » du 8 juillet 2014, empêchant de cumuler les remises de prix et frais de port gratuits, a été détournée par le géant américain et n’a en aucun cas privé la société de son succès. Par conséquent, Pascale Gruny appelle les patrons de PME à sortir du déni et à se former sur les questions technologiques. Elle souligne d’ailleurs le fait qu’une entreprise engageant sa transformation numérique a 2,2 fois plus de chance de croître que celles qui ne le font pas.

Amener le Numérique vers les dirigeants

Il va sans dire que les dirigeants de TPE/PME sont déroutés par les sujets de transformation digitale. Pour les accompagner face à ces enjeux, le rapport suggère d’effectuer la numérisation de leur entreprise dans une relation de proximité avec une personne de confiance, visant à rassurer le dirigeant et réaliser un diagnostic de ses besoins. Cette personne peut être quelqu’un d’externe à l’entreprise ou peut être un collègue dirigeant qui a déjà accompli une transformation numérique et est reconnu pour sa capacité à comprendre et expliquer les enjeux et démarches.

Le document décrète par la suite que « l’exemplarité et la mise en exergue de réussites concrètes sont préférables à des présentations théoriques et abstraites ». Un constat avec lequel je ne suis pas vraiment d’accord, pour le coup. À mes yeux, il est important de former sur les mécanismes d’une transition digitale. Si on observe qu’une démarche à fonctionné mais qu’on ne sait pas comment elle a fonctionné, on peut reproduire ses mêmes étapes dans une autre situation et n’obtenir aucun résultat, tout simplement car les paramètres varient d’une mission à l’autre. Il faut donc que le personnel d’une entreprise réintègre les principaux mécanismes d’une transition numérique et leurs effets pour que les exemples de réussites aient un sens. On a d’ailleurs fait face au même problème avec la montée de l’Informatique : on a dit aux dirigeants « vous n’avez pas besoin de comprendre » et les PME subissent encore les conséquences de cette méthode. Il y a quelques temps, nous avons été consultés par une entreprise un peu plus grosse qu’une PME. En compétition avec un grand cabinet de conseil, on devait trouver la meilleure proposition pour faire de l’innovation. Le grand cabinet leur a proposé de faire un benchmark des entités concurrentes. Pourtant, l’innovation, c’est construire ce qui n’existe pas… Innover en copiant la réussite des autres, ce n’est pas innover.

Beaucoup de PME sont encore hésitantes à demander un accompagnement extérieur. « Elles le justifient par le peu de temps et de moyens à y consacrer, mais aussi par un souci de confidentialité et un manque de confiance. Les possibilités d’aides existantes sont peu identifiées par les entreprises. Enfin, le vocabulaire employé sur la thématique numérique ainsi que les dispositifs proposés sont jugés peu adaptés par les PME », précise le rapport. Il est donc important pour les conseillers, principalement, de faire disparaître ces craintes en s’adaptant réellement aux spécificités des TPE/PME. You Don’t Need Us propose par exemple une formule d’abonnement permettant de lisser les coûts dans le temps et garantissant un suivi régulier. En général, une mission de consulting classique est concentrée sur un mois, ce qui pose beaucoup de délais superflus et donc de contraintes de temps mais aussi d’argent aux plus petites entreprises. Elles doivent pourtant absolument être accompagnées.

Le rapport soutient ainsi qu’il faut amener le Numérique vers le dirigeant. Il faut créer une politique d’accompagnement sur les questions digitales permettant de mettre les PME sur un pied d’égalité avec les plus grandes entreprises. Pascale Gruny propose par exemple l’instauration d’un volontariat numérique en PME (VNPME) sur le modèle du volontariat à l’international ou territorial en entreprise. Une idée prometteuse pour accompagner l’exécution d’un plan d’actions mais qui paraît plutôt ambitieuse en termes d’élaboration de la stratégie digitale d’une PME. Je ne suis pas convaincu que de jeunes diplômés arriver à concevoir cette stratégie, à voir ce qui est important à mettre en place.

La fausse menace du Digital face à l’emploi

Aux côtés de leurs dirigeants, les salariés des PME émettent aussi certaines craintes et incertitudes face aux avancées technologiques. L’une des questions qu’ils se posent d’ailleurs est celle de l’emploi. Le Numérique détruit-il ou crée-t-il des postes ? À cela, le rapport réplique : « on estime désormais qu’un emploi perdu en raison de la révolution numérique est compensé par 2,6 emplois créés : le problème est qu’ils ne le sont ni dans le même secteur ni dans le même pays que les emplois détruits ». Une réponse qui m’a positivement étonné car je ne pensais pas qu’autant de nouveaux postes étaient formés. Vis-à-vis du problème ensuite soulevé par la sénatrice, je dirais que le Digital est la suite logique de l’Informatique et que si l’Informatique tuait des emplois tels qu’on le craignait auparavant, plus personne ne travaillerait aujourd’hui. Ce n’est bien-sûr pas le cas ! Le rapport cite notamment l’exemple des livreurs. Une profession qui avait disparue mais qui renaît aujourd’hui avec les plateformes de livraisons (bien que les conditions de travail qui y sont liées soient encore à revoir). Par ailleurs, selon une étude du Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), la numérisation « pourrait à terme contribuer à favoriser des relocalisations d’activité, avec des retombées potentielles positives sur l’emploi ».

On parle alors de mutation de l’emploi. Effectivement, parmi les 2,6 emplois créés, beaucoup changent de natures. On assiste avec la montée du Numérique la naissance davantage d’auto-entrepreneurs au détriment d’emplois salariés, mais cette économie des petits boulots ou « gig economy » reste tout de même plus marginale qu’on ne le pense. Les salariés représentent encore 88% des travailleurs en France et, bien que l’auto-entrepreneuriat soit de plus en plus attractif, certains postes freelances pourraient très certainement se resalarier à l’avenir. Les aléas de cette nouvelle révolution industrielle ne nous permettent pas encore d’avoir de projection claire sur l’avenir du travail mais sa transformation devrait se faire de manière naturelle. On retrouvait ces mêmes discours alarmistes au début de l’Informatique mais tout s’est bien passé. Celui-ci a changé notre façon de travailler et le Numérique a et va continuer de changer notre façon de vivre mais ce constat n’annonce pas forcément une catastrophe : on peut faire du nucléaire une bombe, mais on peut aussi en faire une centrale. Ce choix est le nôtre.

Le Numérique change tout de même profondément l’organisation du travail pour les salariés. Aujourd’hui, plus les entreprises se numérisent, plus leur organisation est collaborative, transversale, agile et moins pyramidale. Un changement plutôt bien accueilli selon l’enquête menée par le COE, qui met en avant le lien positif entre le degré de numérisation de l’entreprise et l’adoption de modes d’organisation du travail dits « flexibles » (travail en équipes autonomes, polyvalence, décentralisation des décisions…). Pour cause, plus l’organisation d’une entreprise est flexible, plus ses collaborateurs ont la main et peuvent prendre des décisions à tout niveau.

La formation avant tout

Il reste encore un sujet assez préoccupant aux yeux de Pascale Gruny : le manque de main d’œuvre numérique. En effet, déjà près de 80 000 emplois dans le domaine de la Tech restent à pourvoir en France et un manque de 190 000 profils digitaux est prévu en 2022. Il y a plus d’emplois créés et plus de mutations de postes vers le Numérique que de capacité à compenser ces manques. En conclusion, Les PME ont un immense besoin de formation pour atténuer l’illectronisme dont elles souffrent et combler les lacunes de leurs salariés. Rappelons que récemment encore 19% des Français ont renoncé à faire « quelque chose » parce qu’il leur fallait passer par Internet, rapporte le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Un taux s’élevant à 32% dans la catégorie artisans/commerçants/chefs d’entreprises !

Autre chiffre : 6,7 millions de Français ne se connectent jamais à Internet alors que tout ou presque se faire en ligne aujourd’hui. Je pense d’ailleurs à Pôle Emploi, où les personnes en en recherche d’emploi viennent chercher de l’aide pour compléter leur dossier en ligne… Effectivement, le COE estimait en janvier 2017 que 13 % des actifs (soit 3,3 millions de Français) ont un niveau de maîtrise « susceptible de les mettre en difficulté dans leur emploi actuel ou dans la recherche d’un nouvel emploi » et 30 % (soit 7,6 millions de personnes) « doivent encore progresser en compétences pour disposer de meilleurs atouts au regard des attendus professionnels dans une économie plus numérisée ».

Pascale Gruny aimerait ainsi que la révolution numérique soit l’occasion de rapprocher le monde enseignant et le monde de l’entreprise. L’idée est de globalement renforcer les compétences numériques des Français mais surtout d’en faire une priorité nationale. La sénatrice propose ainsi un certain nombre de recommandations appelant à faire reconnaître la participation des entreprises à la formation au numérique des salariés « comme une contribution à une mission d’intérêt général ». Elle invite par exemple le gouvernement à mettre en place un label spécifique à la formation numérique et un crédit d’impôt qui récompenserait les efforts des entreprises formatrices. Autre recommandation : former au Numérique dès l’école en systématisant notamment l’évaluation PIX dès la fin du cycle élémentaire (plateforme permettant d’évaluer, de développer et de certifier des compétences numériques) et en renforçant l’offre de formation avec la création d’un baccalauréat professionnel axé sur les services numériques.

 

Pour lire l’analyse du premier chapitre, c’est ici :

Photo d’illustration : © NeONBRAND

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